Décidément, le régime ne sait plus que faire devant cette affaire qui éclabousse toute une tripotée de pontes et autres magistrats, connue sous le nom de « l’affaire des magistrats faussaires » ou encore « l’affaire Mellouk » du nom de l’homme qui eut un jour de mars 1992 le courage de la faire éclater sur la place publique.
Depuis, la vie de Benyoucef Mellouk, cet ancien chef de service des affaires sociales et du contentieux au ministère de la Justice, est devenue un enfer. Emprisonné avec feu Abderrahmane Mahmoudi dès la publication de l’affaire dans les colonnes de L’Hebdo Libéré en 1992, son salaire fut aussitôt suspendu. Et la suite ne fut qu’un long feuilleton d’intimidations, entre harcèlement judiciaire, pressions en tous genres et autres humiliations. Dernière avanie en date : le 18 décembre dernier, M. Mellouk a été rendu destinataire d’une étrange convocation à l’en-tête de la Trésorerie centrale, enjoignant à l’ancien fonctionnaire du ministère de la Justice de s’acquitter de la somme de 10 224 DA équivalant à la solde de ce…mois de mars 1992 où M. Mellouk était en détention ! Cela faisait suite à la décision de suspension du traitement du « dangereux pourfendeur » émargeant à la chancellerie, laquelle décision est datée du 25 mars 1992, soit peu après l’éclatement de l’affaire dans la presse, et ce, en guise de premières représailles.
« Vous êtes requis de payer sans retard les sommes détaillées dans le bordereau d’envoi qui sont dues au Trésor », lit-on dans ce libellé qui prévient que si le « contrevenant » ne paie pas la somme dite sous huitaine, il encourra les poursuites prévues par la loi. Petit détail (et guère anodin) : la convocation date du…23 juillet 2008. Ce qui fait sourire et pleurer Benyoucef Mellouk qui s’étonne de cette missive qui arrive, pas seulement avec cinq mois de retard, mais avec, à bien y voir, seize ans de retard ! Autre outrage subi par l’ex-haut fonctionnaire : il est privé de passeport depuis 1992. Et dernièrement, ayant formulé une demande de recouvrement de son document de voyage, il reçoit une convocation émanant de la sûreté de wilaya de Blida datée du 8 décembre 2008.
M. Mellouk se voit alors notifier qu’il ne peut jouir de son passeport sans présentation expresse du jugement définitif rendu à son sujet dans l’affaire des magistrats faussaires. « Depuis 48 heures, je suis comme un fou. J’ai soudain un problème dermique qui me ronge le crâne chevelu dû à un pic de tension », dit-il en exhibant des taches rouges ayant nouvellement envahi son visage émacié. Normal quand on se représente toutes les abominations qu’a dû subir dans sa chair cet épatant commis de l’Etat qui défend sa cause au péril de sa vie. Même sa famille a eu à pâtir des affres de la hogra infligées par d’obscures officines pour faire payer à l’intègre fonctionnaire son sursaut de moralité. « Je suis fatigué, épuisé, vidé de mes forces ! Si une quelconque ambassade m’offrait l’asile, je m’y réfugierais », éructe-t-il dans un moment de colère toute légitime.
Mais l’homme, loin d’abdiquer, persiste et signe : l’affaire des magistrats faussaires, l’un des plus gros dossiers de faux et corruption pendant au nez de la justice algérienne, éclatera un jour et ses protagonistes paieront. « Que les magistrats ouvrent le dossier sérieusement ! L’affaire traîne encore devant la cour et le verdict de la vérité est repoussé indéfiniment », rage-t-il. « Malheureusement, pour raison d’Etat, ils me font punir : pressions, menaces, intimidations, on m’a fait voir de tout. On m’a radié de mon poste pour avoir dénoncé des intouchables dans cette affaire qui a éclaboussé toutes les institutions de l’Etat. Ils m’interdisent mes droits civiques ; maintenant, on s’attaque à mon passeport pour me bloquer. Et voilà ce ridicule mois de salaire qu’on me réclame seize ans plus tard, un traitement qui remonte à la période où j’étais en prison avec Abderrahmane Mahmoudi, Allah yerahmou.
C’est une honte, une injustice flagrante ! Et je tiens le premier magistrat du pays, le président Bouteflika, pour premier responsable de cette situation, lui qui n’a pas eu le courage de trancher dans cette affaire qui touche l’honneur de tout un pays et l’épopée des chouhada. On veut ainsi couvrir des voleurs magistrats qui ont profité sur le dos du peuple et son trésor en obtenant de fausses attestations de moudjahidine. Qui doit payer, moi ou eux ? Moi, je suis prêt à aller au fond de ce dossier pour faire éclater la vérité, et je le ferai à l’intérieur ou à l’extérieur ». Courageux, digne, M. Mellouk continue d’arpenter les couloirs des rédactions et des palais de justice, ses sulfureux dossiers à la main, comme une bombe qui manque d’exploser avec à la bouche ces mots qui résument la foi ardente qui l’anime et expliquent sa formidable ténacité : « Je ne regrette pas d’avoir fait mon devoir envers mon pays que j’aime ».
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